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Soutien à ali yashar et à sa famille

En 2006, article de pierre maun (journaliste à libération)

En 2006, article de pierre maun (journaliste à libération)

Deux ans d'errance à Mende pour l'imam salafiste

PIERRE DAUM 14 MARS 2006 À 20:37

Soupçonné de lien avec l'islamisme radical, Yashar Ali voudrait se défendre.

Mende envoyé spécial

Au coeur de la Lozère, ce minuscule département perdu au pied du Massif central, peu peuplé, difficilement accessible, des individus un temps redoutés semblent avoir été oubliés. C'est le cas de Yashar Ali. Depuis presque deux ans, ce Kurde irakien de 46 ans, ancien imam de la mosquée Al-Asalam d'Argenteuil (connue aussi sous le nom de «mosquée Dassault», car située près des usines de l'avionneur), hante les rues de Mende,tâchant de se rendre aussi discret que possible malgré une grosse barbe rousse et une calotte vissée sur la tête qui le désigne immédiatement comme musulman très pratiquant dans une ville qui n'a jamais connu de tel orthodoxe. «Les gens me regardent de travers, on me traite de chien, certains me crachent à la figure et, un jour, un homme a même cherché à me renverser avec sa voiture», raconte-t-il. «Sa situation est terrible, confirme Ginette, la patronne de l'hôtel dans lequel loge Yashar Ali. Il est tout seul, séparé depuis des mois de sa femme et de ses enfants. Son moral est très mauvais, et ça m'arrive de l'entendre pleurer pendant des heures dans sa chambre.»

Se morfondre. Le destin de cet homme a basculé le 9 mars 2004. Convoqué au commissariat de son quartier, on l'informe qu'il est sous le coup d'un arrêté d'expulsion. Selon cet arrêté, cet Irakien, imam à Argenteuil depuis 2001, serait «le principal vecteur de diffusion de la doctrine salafiste en Ile-de-France», il entretiendrait «des liens étroits avec la mouvance islamiste radicale» et propagerait «une idéologie appelant à la haine contre le monde occidental et les juifs». Mais il y a un hic : Yashar Ali, reconnu réfugié politique depuis son arrivée en France en 1983 (pour ses liens avec l'UPK, un mouvement kurde opprimé par Saddam Hussein), n'est pas expulsable vers son pays d'origine. En attendant de trouver un Etat qui accepte de l'accueillir, le voilà assigné à résidence le plus loin possible d'Argenteuil, et donc aussi de sa femme et de leurs cinq enfants ­ tous, d'ailleurs, de nationalité française. Yashar Ali débarque à Mende le 6 juillet 2004. Aucune agence immobilière n'accepte de lui trouver un logement. Les hôtels rechignent aussi, jusqu'à ce que Ginette propose de l'accueillir. Depuis, l'ancien imam se morfond dans sa solitude, ne recevant presque aucune visite, les journées rythmées par un pointage obligatoire au commissariat de la ville. Et par ses prières dans la seule «mosquée» de Mende, un appartement insalubre que le maire (UMP) met à la disposition des musulmans.

L'accablement de Yashar Ali est d'autant plus profond que les accusations portées contre lui semblent, pour certains spécialistes,erronées. «Dans le cadre de mes recherches, j'ai assisté aux prêches donnés en arabe à la mosquée Dassault par l'imam Ali en 2002 et 2003», explique Samir Amghar, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du salafisme en France. «Il n'a jamais prêché la moindre violence, et, au contraire, s'exprimant sur les attentats du 11 septembre 2001, il les a toujours dénoncés comme contraires à l'islam.» Et l'universitaire de poursuivre : «Le ministère de l'Intérieur commet une erreur grossière en associant automatiquement salafisme et terrorisme. En vérité, le salafisme se divise en deux courants, l'un en effet jihadiste, ultraminoritaire en France, et l'autre piétiste et complètement pacifiste. C'est à ce dernier que Yashar Ali appartient.»

Un officier des services de renseignement admet qu'il a pu y avoir des «erreurs» dans le dossier. La note de la DST à l'origine de l'arrêté d'expulsion affirme que Yashar Ali, à son arrivée en France en 1983, aurait été hébergé par le turc Hamid Güler, lui-même frère de Midhat Güler, plus tard accusé d'appartenir au réseau Kaplan, un mouvement de nationalistes extrémistes turcs. Or Yashar Ali n'a jamais été hébergé par ces gens-là, mais par un cousin à lui, l'Irakien (kurde) Hamid Darwish, artiste peintre. «Il n'est pas impossible non plus, ajoute l'officier, que Yashar Ali ait été la victime de fausses dénonciations dans le cadre d'une lutte de pouvoir au sein de l'association qui gère la mosquée Dassault.»

Statut. Dès le début, Yashar Ali a tenté de contester l'arrêté d'expulsion dont il fait l'objet. «Mais, jusqu'à aujourd'hui, aucun juge ne m'a convoqué afin que je puisse tenter de me défendre !» se plaint l'imam déchu. Le 2 février 2005, une première requête est rejetée par le tribunal administratif de Cergy Pontoise. Le dossier est examiné par le Conseil d'Etat. Depuis quelques mois, la situation de Yashar Ali s'est encore dégradée. L'Assedic vient d'arrêter le versement de ses allocations ­ même si son hébergement et sa nourriture sont payés par l'Etat, il se retrouve sans un centime ni pour son argent de poche, ni pour sa famille restée à Argenteuil. Et l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), considérant que l'UPK n'est plus interdit en Irak, lui a retiré son statut de réfugié politique. Aujourd'hui, seule l'absence de liaison aérienne entre Paris et Bagdad protège Yashar Ali de l'expulsion vers son pays d'origine.

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